CHAPITRE XII

Miss Marple appréciait son séjour à Londres. Elle profitait d’un tas de plaisirs qu’elle n’avait pas eu le temps de satisfaire lors de sa brève visite précédente. Dans les grands magasins elle profita de certains prix de rabais sur le linge de maison. Ayant dépensé ce qu’elle considérait être une somme raisonnable pour des achats pratiques, elle consacra le temps qu’il lui restait à des excursions personnelles. Elle revisita des magasins et lieux qui avaient marqué sa jeunesse, quelquefois simplement pour se rendre compte s’ils existaient toujours.

Après le déjeuner que suivait une petite sieste, elle sortait en évitant le portier qui essayait toujours de la persuader de se déplacer en taxi à cause de son âge. Munie d’une carte de métro et d’autobus, elle partait à l’aventure, à la recherche de ses souvenirs.

Par un doux et plaisant après-midi, Miss Marple s’embarqua dans un autobus qui la déposa au-delà de Battersea Bridge. Elle allait s’offrir une double joie : jeter un coup d’œil sentimental sur les « Princes Terrace Mansions » où une de ses vieilles gouvernantes avait habité, et visiter le parc de Battersea. La première partie de son plan échoua. L’ancien logement de Miss Ledbury avait disparu, remplacé par une masse de béton.

Miss Marple, qui avait toujours été une bonne marcheuse, s’engagea dans le parc. Très vite, elle réalisa que son endurance n’était plus la même qu’autrefois. Bientôt, son pas devint plus lent et elle fut heureuse de rencontrer un petit salon de thé situé près du lac. Peu de monde s’y trouvait : quelques mères avec leur landau et un ou deux couples d’amoureux.

Miss Marple, munie d’un plateau de thé et de gâteaux, s’assit à une table et but son infusion avec plaisir. Ayant repris des forces, la vieille demoiselle jeta un coup d’œil alentour et soudain son regard se figea ! Quelle étrange coïncidence ! D’abord les magasins Army et Navy et, à présent, ce salon de thé perdu dans un parc. Ces deux-là choisissaient des endroits assez originaux… Mais non, elle se trompait. Il existait bien une certaine similitude, mais il ne s’agissait pas de Bess Sedgwick, ce coup-ci. Cette personne était beaucoup plus jeune. La fille, bien sûr ! Sa fille qui était venue au Bertram avec le colonel Luscombe, l’ami de Selina Hazy. L’homme qui accompagnait la jeune fille était celui qui avait déjeuné avec Bess Sedgwick au restaurant des magasins Army et Navy. Le même air charmeur, le même profil d’oiseau de proie.

— Mauvais, pensa Miss Marple. Sans scrupule. D’abord la mère et, à présent, la fille ? Qu’est-ce que cela signifie ?

Miss Marple accordait rarement à quelqu’un le bénéfice du doute, mais pensait invariablement au pire et, neuf fois sur dix, elle ne se trompait pas dans son jugement. Ces deux rencontres étaient sûrement plus ou moins secrètes.

Elle observa le couple, la façon dont les deux jeunes gens se penchaient l’un vers l’autre (leurs têtes se touchant presque), s’entretenant avec volubilité. La jeune fille était amoureuse, désespérément amoureuse, comme ne le sont que les très jeunes. Mais à quoi pensaient ses tuteurs de la laisser ainsi traîner seule dans Londres et y courir à des rendez-vous clandestins ? Une jeune fille de si bonnes manières et si gentiment élevée ! Trop gentiment, peut-être ? Sa famille devait la croire ailleurs et la petite savait sûrement très bien mentir.

Pour sortir, Miss Marple passa le plus près possible de leur table et ralentit le pas au passage, mais ils parlaient à voix si basse qu’elle ne put attraper un mot de leur conversation. Le garçon chuchotait et la jeune fille l’écoutait, à demi heureuse, à demi effrayée. « Ils complotent probablement de s’enfuir ensemble, pensa Miss Marple. Elle est encore trop jeune. »

À l’extérieur, la promeneuse contourna le bâtiment et déboucha sur le terrain réservé aux voitures. Elle s’arrêta devant un véhicule d’un modèle peu courant et qu’elle avait remarqué auparavant, bien qu’elle ne s’intéressât pas aux automobiles. Pas plus tard qu’hier, elle avait vu celui-ci ou un autre semblable dans une rue voisinant le Bertram. Elle l’avait contemplé non seulement parce que c’était un modèle peu commun, mais aussi à cause de sa plaque minéralogique qui avait éveillé en elle une association d’idées avec sa cousine Fanny Godfrey qui était bègue. Un jour, elle avait déclaré : « J’ai d… d… deux ci… ci… cicatrices. » Cela avait amené dans l’esprit de Miss Marple une sorte de rapprochement avec le numéro de cette voiture : FAN 2266.

Poussée par la curiosité, Miss Marple s’approcha de la grande voiture de sport. Le même numéro : FAN 2266. Elle reprit sa marche, l’esprit préoccupé et arriva très fatiguée au pont de Chelsea où elle héla le premier taxi qui passait. Elle était tourmentée par le sentiment qu’elle devait tenter quelque chose, mais elle ne savait pas quoi. Elle fixa au passage la pancarte d’un marchand de journaux où elle lut : « Sensationnel développement dans l’affaire du courrier irlandais. Le témoignage du chauffeur de la locomotive. »

« Vraiment, pensa la vieille demoiselle, il semble que pas un jour ne doive se dérouler sans un hold-up. »

A l'hotel Bertram
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